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13 octobre 2010 3 13 /10 /octobre /2010 23:00

     Eleves-au-travail--1-.jpg

   Après quelques années d'observation dans les collèges de banlieue où en tant qu'auxiliaire de l'Education Nationale il enseigne la musique aux adolescents, Robert réalise que c'est en étant totalement lui-même, et totalement à l'écoute de ces jeunes souvent en grande difficulté, qu'il va réussir à gagner leur intérêt et leur respect pour sa discipline. En arrivant au collège Raymond Poincaré de La Courneuve, où le précédent professeur de musique avait vu sa chaîne Hi-Fi voler par la fenêtre (nous sommes en 1978), il commence par lancer à ses classes médusées :

    - " Vous ne pouvez pas être plus mauvais élèves que je ne l'ai été ! Vous savez pourquoi je suis devenu enseignant ? Parce que j'étais un cancre, et que je suis capable de comprendre ce qui se passe dans la tête de tous les cancres !"

     En effet Robert était un rêveur et à l'école cela ne plaisait pas toujours à ses professeurs... Lisez son poème "l'Enfant" dans le recueil "Là-bas sont tous les rêves" (ou ici, sous forme de "poème illustré"), et vous comprendrez.

      Il leur explique alors qu'il est normal qu'ils rêvent, parce qu'ils en ont tous besoin, et que leurs rêves eh bien, il va les mettre en musique.

 

      C'est alors qu'avec les enseignants de l'établissement, et surtout avec le soutien inconditionnel du principal d'alors Paul Combes (dont il dira plus tard qu'il fut l'un de ses "pères spirituels"), il monte un Projet d'Action Educative (PAE) dans lequel il invite ses élèves à écrire des poèmes qui formeront la trame d'une oeuvre dont ils seront eux-mêmes les interprètes. Grâce à cette implication personnelle il pense entraîner peu à peu les enfants vers la découverte de la musique contemporaine qu'il adore, et notamment d'Olivier Messiaen qui en représente pour lui le sommet.


Les-enseignants-du-CES-R.-Poincare.jpgLes enseignants du CES Poincaré. Malheureusement M. Combes ne s'y trouve pas.


     Déjà Robert pense à ce titre : Du fond du Gouffre. Dans son esprit cette musique est un cri, pour faire entendre des voix qu'habituellement on n'entend pas.

      Et pour cela évidemment il faut qu'il mette en jeu toutes ses facultés créatives car le problème qui se pose à lui est celui-ci : comment permettre à des enfants qui sont réfractaires au solfège et à tout ce qui est "savant" de s'exprimer musicalement, alors qu'il vient de longuement leur expliquer que même l'homme des cavernes était un créateur !

     L'idée lui vient donc de fabriquer des signes conventionnels (voir cet article, à la fin), permettant de créer des effets sonores sans utiliser trop de notes ni de difficultés de lecture.

      Puis il recrute une "chorale expérimentale", formée à la fois de jeunes et d'enseignants volontaires, qu'il va former à différents effets vocaux qui vont des onomatopées et chuchotements à une expression vocale guidée par les signes. C'est dans cette chorale que se trouveront les élèves dont il recevra les  poèmes : certains seront scandés, exprimés de diverses manières, l'un d'eux sera chanté sous la forme d'un choral.


Répétition des choeursEnfants et adultes durant les répétitions


      Par ailleurs il fait appel à des camarades de l'Université pour tenir divers pupitres de l'orchestre (tel le célesta) et à trois interprètes professionnels pour étoffer la partition au plan musical. Ceux-ci seront Michel Giboureau, un ami de longue date puisqu'élève avec lui dans la classe de Gilbert Flory, pour jouer en soliste du hautbois, du hautbois d'amour et du cor anglais ; Patrice Chazal pour tenir les percussions (très importantes puisque Robert est un fervent d'Olivier Messiaen) ; et enfin Francesca Paderni, qu'il rencontrera à cette occasion mais qui deviendra l'une de ses plus fidèles interprètes et amies, pour les  Ondes Martenot.

Michel-Giboureau.jpgMichel Giboureau au hautbois

Francesca-Paderni-aux-ondes-Martenot.jpgFrancesca Paderni aux Ondes

Patrice-Chazal.jpgPatrice Chazal au vibraphone


    Pour chacun d'entre eux il composera une pièce en soliste qu'il intitulera "Désert", chaque désert devant introduire l'une des trois parties (enchaînées) de l'oeuvre.

    Le Désert II pour hautbois se verra édité par les éditions Lemoine dans la collection Carte Blanche à... destinée à de jeunes auteurs, après la transformation de Du Fond du Gouffre (dont nous ne possédons hélas pas d'enregistrement) en une version enrichie qui sera présentée trois ans plus tard à Issoudun sous le titre de Trois Métamorphoses du Rêve. Pourtant la partition soliste elle-même n'avait subi aucun changement, elle est publiée telle qu'elle fut écrite et interprétée à la Courneuve en ce mois de juin 1979.

 

Désert II pour hautbois

     Écoutons pourtant le Désert I pour vibraphone, dans l'interprétation de Daniel Ardaillon lors de ce second concert donné à Issoudun en 1982. Les Trois Métamorphoses du Rêve n'ayant aussi été enregistrées que partiellement, c'est le seul que je puisse vous faire entendre.


Le Désert I pour vibraphone, dans le texte même qui a été joué lors du concert de La Courneuve, mais ici enregistré en 1982 à Issoudun par Daniel Ardaillon, professeur au Conservatoire National de Montluçon. L'enregistrement amateur est mauvais, et malgré mes efforts pour supprimer les bruits intempestifs on en entend tout de même beaucoup ; par contre les derniers sons pianissimo du vibraphone n'ont pas été bien saisis et semblent engloutis dans l'espace (huit battements sur la même note suivant le dernier accord) ... 

 

     Quant au Désert III pour ondes Martenot, Francesca Paderni le programma par la suite très souvent dans ses propres concerts ; en effet il présente l'avantage de mettre en valeur ce merveilleux instrument dans mille possibilités souvent ignorées.

     Dans la première partie de l'oeuvre, Robert Bichet fit entendre quelques-uns de ses poèmes d'alors ; puis il consacra entièrement la seconde à ceux de ses élèves, avec pour l'un d'eux un choral attribué aux voix et totalement écrit, que Robert affectionnera au point de le transcrire pour orchestre d'harmonie et de le faire rejouer ainsi plusieurs fois comme une oeuvre à part entière.


Repetition.jpgUne répétition vue depuis le pupitre du vibraphoniste. Au fond et à droite, les élèves de la chorale ; juste devant, un étudiant au célesta ; sur la gauche Michel Giboureau ; vers le fond Francesca Paderni, puis un enseignant jouant du "tam-tam" chinois (une sorte de grand gong tel qu'on le trouve chez Messiaen, voir ici) ; et enfin l'on devine caché un adulte aux cloches-tubes.

Location-de-materiel.jpgEn effet grâce au PAE Robert a pu louer tout le matériel nécessaire.

Grosse caisse tenue par un élèveUn élève également était préposé à la grosse caisse.

Flûtiste à bec
Bien sûr d'autres jouaient aussi de la flûte à bec.

 

    Durant la troisième partie de l'oeuvre, dont les répétitions n'avaient pas pu être totalement mises au point au grand effroi des participants adultes, Robert, galvanisé par cette osmose réalisée entre lui et tous ces enfants-poètes, s'empara du vibraphone sur lequel il improvisa longuement.

Robert Bichet au vibraphone     Enfin, il avait réussi à dépasser ses propres peurs devant la musique, il émergeait d'un gouffre de doutes et d'incertitude, porté par la foi qu'il avait su insuffler  à tous.

Robert dirigeant

    Magnifique photo prise comme toutes les autres du même sujet par Daniel Friedmann, passionné de photographie (cela se voit !) et CPE de l'établissement, dans le souci de conserver des traces de l'extraordinaire PAE réalisé à La Courneuve en cette année scolaire 1978-1979.

 

    (Oeuvre créée le 18 juin 1979 au Centre Culturel Jean de Houdremont de La Courneuve, Seine-Saint-Denis, en présence d'une salle comble malgré l'entrée payante).

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commentaires

J
<br /> Bon, je n'ai pas fait le guerre, mais "Du fond du Gouffre", j'y étais!! On pourrait croire que se rappeler ces souvenirs, ça ne rajeunit pas… mais quelle bouffée de jeunesse que de repenser à ces<br /> merveilleux enfants de la Courneuve, ceux qui sont censés habiter cet "enfer" de la banlieue nord et que Robert avait entraîné dans un paradis dont ils étaient les habitants légitimes, fruit de<br /> leur travail et de leurs rêves. Belle image du pédagogue ouvrant à ses ouailles les portes du savoir et du bonheur à la fois.<br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Merci, Jean-Christophe, de ces commentaires empatiques et chaleureux ! Toi aussi tu as su faire bien des choses je crois. <br /> <br /> <br /> <br />
R
<br /> Ton Robert a du génie, car il a créé la " main à la patte " sur le plan musical bien avant que le concept scientifique du regretté Charpak ne vienne au monde!<br /> Photos très belles, aussi, il doit être très heureux et toi aussi de feuilleter ces souvenirs?<br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Ah ? Je ne connaissais pas Charpak. Mais il s'inspirait aussi du travail des frères Baschet (dont je parlerai plus tard et ai déjà parlé sur l'autre blog). Ce sont surtout les filles qui sont<br /> heureuses de découvrir certaines choses qui leur ont échappé... Mais nous aussi aimons en effet feuilleter ces souvenirs...<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Tes enfants sont belles et intelligentes comme les parents.<br /> bonne soirée<br /> clem<br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> C'est gentil, et c'est sûrement vrai... mais pour dire cela tu n'as que le texte de ma "petite" Marino (qui est l'aînée mais la plus petite en taille... C'est pourquoi sans doute les enfants<br /> l'aiment tant).<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> un beau documentaire sur un personnage sympathique.<br /> bonne soirée<br /> clem<br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> C'est le père de mes enfants tout de même... <br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> Quel magnifique article!Je le trouve très bien écrit!On en apprend tous les jours:j'ignorais certains détails ...Je croyais que Papa avait rencontré Francesca au concervatoire,et je n'avait pas<br /> réalisé que "Du fond du gouffre" et "Les trois métamorphoses du rêve" était en fait la même oeuvre puisque je n'ai jamais entendu "Du fond du gouffre"...Gros bisous!Marino.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Merci de ta  visite, Marino... Tu es ma première lectrice : Papa ne m'a encore même pas donné son avis sur cet article ! Par contre il m'a longuement expliqué hier soir par téléphone tout ce<br /> que je devais savoir et je ne pense pas m'être trompée. En tous cas il est certain que Francesca lui a été présentée à cette occasion. Quant aux "Métamorphoses du Rêve", ce n'est pas la même<br /> oeuvre : c'est la reprise des meilleurs passages de "Du Fond du Gouffre", qui était une oeuvre encore un peu brouillonne, avec les trois déserts, dans une première partie. Mais ensuite Robert a<br /> spécialement composé les deux parties suivantes à Issoudun, en utilisant Bruno Nion comme récitant, et en écrivant de façon plus élaborée pour les musiciens du conservatoire qu'il possédait<br /> alors. J'en parlerai  plus tard, mais là j'y ai été obligée à cause du titre de la publication des éditions Lemoine. <br /> <br /> <br /> <br />

Profil

  • Martine Maillard
  • "C'est quand on est enfant qu'on emmagasine dans son cœur les choses les plus importantes de la vie" , dit souvent Robert Bichet.    

Je souhaite vous faire partager ici son enthousiasme et ses passions.
  • "C'est quand on est enfant qu'on emmagasine dans son cœur les choses les plus importantes de la vie" , dit souvent Robert Bichet. Je souhaite vous faire partager ici son enthousiasme et ses passions.

Présentation

Né en 1947, Robert Bichet reçut d'abord  une formation de musicien au Conservatoire National de Région de Tours en hautbois puis en écriture. Simultanément il publia deux recueils de poèmes sur la Région de Tours et commença à peindre sous l'influence de Pierre Dupas.

            Arrivé à Paris en 1970, il suivit durant deux années le stage de formation organisé par le Groupe de Recherches Musicales de Radio France et le Conservatoire National Supérieur de Paris, puis reçut une formation universitaire à la Faculté de Paris VIII où il fut admis au grade de licencié dans les départements de Musique et d'Arts Plastiques. 

          Tandis que deux nouveaux recueils de poèmes voyaient le jour, il s'initia à la gravure et commença à développer une technique d'encres soufflées. Par ailleurs ses relations avec de multiples amis instrumentistes enrichit sa connaissance des divers instruments et lui permit d'envisager une écriture musicale basée sur des masses sonores où apparaissent en relief des solistes dont tous les moyens sont mis en valeur. Cette exigence de recherche instrumentale lui valut une édition musicale à compte d'éditeur (chez Henri Lemoine) de son "Désert II" pour hautbois.

          Après avoir enseigné dans divers collèges de la Région Parisienne et avoir réussi à y insuffler un élan vers l'expression musicale contemporaine, il fut nommé en 1981 directeur du Conservatoire Municipal de Musique d'Issoudun (Indre), où conjointement à ses activités d'administrateur il développa largement sa peinture,  sa poésie et sa musique, par des créations originales spécialement conçues  pour ses élèves, ou même pour les enfants des écoles, appelés à participer.

        Retraité depuis 2007 il poursuit ardemment par des cours, des conférences, des animations, des concerts et des expositions, le but qu'il s'est fixé :  amener chacun à éveiller le poète qui sommeille en lui, en prenant conscience que tout être humain est un créateur.       

L'Art vient d'ailleurs, il est sacré.

L'artiste n'est qu'un transmetteur capable de s'émerveiller.

Quels que soient sa race, son sexe, son âge, sa condition sociale, tout être humain a la possibilité de dire ou de penser : "c'est beau... ... ... "

C'est à cet instant qu'il devient poète.

S'il s'autorise à créer envers et contre tous, il devient alors artiste, nourri par l'énergie d'une force intérieure qui le dépasse et qui le guide.

Robert Bichet

Citations

« L'artiste doit aimer la vie et montrer qu'elle est belle. »

Anatole France

 

« Nous, nous voulons être les poètes de notre vie. » 

Frédéric Nietzsche

Un Reportage Vidéo

Bibliographie

POÉSIE

- Expansion d'amour

(Editions J.F.P.F., 1967) épuisé.

- Triptyque :

  . Expansion d'amour
 . Altitudes

  . Douze paraboles pour une jeune fille

(Editions José Millas-Martin, 1970) épuisé.

- De la fenêtre

(Editions Saint-Germain des Prés, 1971) épuisé.

- De la fenêtre

(Editions José Millas-Martin, 1972).

- Mes saisons de Bracieux

   Poèmes pour eux

   Poèmes venus d'ailleurs

(Editions Saint-Germain des Prés, 1973) épuisé

- Parcours secret derrière Orion

(Editions François Villon, 1997)

- Là-bas sont tous les rêves

(Editions Caractères, 2009)

 

MUSIQUE

- Désert II     pour hautbois

Extrait de "Du Fond du Gouffre", durée 7'

(Editions Henry Lemoine, 1986).

- Parcours secret derrière Orion      pour 7 saxophones

(5 saxophones alto mi b, 1 saxophone ténor si b et 1 saxophone baryton mi b), durée 20'

(Editions Van de Velde, 2002).